Coeur, source de nos relations interpersonnelles


Epaphrodite Nshimiyimana, msscc

 

INTRODUCTION.

 

L'un des sens symboliques du cœur est d'être le centre de la personne humaine, l'expression de ce qu'il y a de plus profond et de plus intime dans l'homme. Or, par nature la personne humaine a besoin de la vie sociale. C'est pourquoi dès sa naissance, elle se trouve entourée par ses semblables, petits et grands. Ces derniers lui doivent une éducation qui va jusqu'à l'âge de prendre ses propres responsabilités au sein du groupe ou de la famille.

La première et la plus importante éducation est celle du cœur. Celle-ci revient d'abord aux parents, mais sans toutefois oublier l'intervention de toute la communauté. Car cette unité fondamentale fait appel à l'amour, et ces deux  entités sont inséparables. Le cœur et l'amour sont donc deux grands piliers de la vie humaine. Ainsi, la vie ne sera significative que lorsqu'elle reflète ce qui est au fond du cœur.

L’éducation du cœur implique la connaissance et l’acceptation de soi-même, bases fondamentales de tout relation humaine. Il faut que dans toute relation je soi « moi » et que toi tu soi « toi ». Toi et moi, l’un et l’autre, c’est ce qui fait cette base d’une rencontre riche et féconde. Autrement dit aucune relation ne pourra jamais réussir entre des personnes qui ne sont pas mues par un grand amour de la vérité, et par une volonté forte de servir le bien commun.

Dans toutes les cultures et d’une manière générale, le cœur est une réalité intérieure très riche de sens, multiple, complexe, mais aussi invisible. Pour exprimer ce qu'il y a de plus humain dans l'homme, certaines cultures exaltent, dans l'homme, son intelligence ou sa volonté, les autres trouvent que la plus grande caractéristique de l'homme est son cœur. Car, pour  connaître et  décrire quelqu’un, il faut tout d'abord comprendre ce qui est au plus profond de lui-même.

Si le cœur, que la plupart des traditions considèrent comme l'unité fondamentale de l'homme, est aussi l'unité dynamique par laquelle l'homme cherche à se mettre en communion avec Dieu, avec ses semblables et avec lui-même, comment peut-il être aussi le centre de notre vie communautaire? Autrement dit, comment nos communautés peuvent êtres le lieu privilégieux  de la manifestation de ce qu'il y a de plus intime dans le cœur de ses membres? Pour répondre à cette interrogation nous allons d'abord parler de la signification du cœur dans le contexte rwandais. Ensuite, nous parlerons des attributs du cœurs. Enfin, nous parlerons de la vie communautaire.

 

 

1.  LA SIGNIFICATION DU COEUR.

 

L'homme, déclare le grand Larousse, est un mammifère bimane à station verticale, doué de langage et de raison. Par la définition logique, par le genre et l'espèce, l'homme est un animal rationnel. Or, pour se connaître comme existant, l'homme, par sa propre raison, ne perçoit que son cœur.

Le cœur de l'homme est qualifié comme étant, tout d'abord, la notion de centre de toute chose. Alors que Meletius dit que le cœur est "le fourneau de la chaleur naturelle, c'est-à-dire la chaleur qui permet l'élaboration de l'esprit vital". J. Riolan, dans Anthropographie, nous dira que "Le cœur est [...] la plus excellente des parties, le siège de l'âme irascible, le principe de la faculté et de l'esprit de vie; l'origine de la chaleur naturelle, et le soleil de nos corps"[1]. Delà, nous pouvons dire que le cœur est l'organe le plus nécessaire pour vivre. Le cœur communique la vie au corps, car "il est doté de propriétés spécifiques, dont la plus remarquable est sa relative autonomie fonctionnelle ou automatisme cardiaque. Celui-ci permet d'entretenir la vie végétative, celle du sujet qui se repose ou qui dort"[2]

Le but premier du cœur est la nutrition de l'ensemble de l'organisme. Pour comprendre la nécessité du cœur dans le système digestif, il faut revenir à des vérités premières élémentaires mais décisives. En effet, le vivant se caractérise par son autonomie, son auto mouvement, sa capacité à se nourrir, c'est-à-dire à transformer en sa propre substance des êtres d'une nature autre que la sienne.

"Le cœur est proprement le centre de la vie. Nous désignons par-là, bien sûr, l'organe aux battements duquel est liée la vie du corps, mais nous entendons aussi familièrement sous ce terme le fin fond de l'âme, manifestement parce que le cœur est au plus haut point intéressé à ce qui se vit au plus profond de l'âme, et parce que la connexion du corps et de l'âme n'est nulle part plus directement sensible"[3].

La langue est impuissante à dire ce que comprend le cœur. Parfois aussi, le cœur, manifesté par les actes, nie ce que la voix affirme. Par crainte, on n'ose pas dire ce qu'on sait ou ce qu'on croit. Par dissimulation, on dit ce qu'on n'a pas dans le cœur. Pour être en paix avec soi-même, il est nécessaire au contraire que les lèvres disent ce que le cœur renferme, et cela contre toute crainte, et que le cœur renferme ce que disent les lèvres, et cela contre toute dissimulation.

Les images les plus fréquentes pour évoquer le cœur sont celles de l'intériorité. Ces images suggèrent les profondeurs secrètes du cœur. Cette propriété du cœur est ce qui permet à l'homme de cacher ce qu'il pense. Mais elle préserve aussi sa liberté, quelle que soit la contrainte extérieure que l'on fait peser sur lui.

 

 

2.  LES ATTRIBUTS DU COEURS.

 

Le cœur est le centre le plus profond de l'âme. Dans la plupart des langues africaines, le mot "cœur" désigne à la fois l'organe central du corps et le foyer des sentiments profonds. Mais qu'est ce le cœur d'après le Rwandais? Il est beaucoup de choses et même il est tout.

 

2.1. Cœur, expression de la vie affective et émotionnelle.

Le cœur est considéré comme source ou demeure secrète, sorte de poste récepteur et émetteur de tout ce que l'homme ressent. C'est du cœur que procèdent toutes les émotions humaines. Car c’est de cette unité fondamentale que l’homme exprime son inquiétude, sa frayeur, sa tristesse, l’impulsion ou la colère, l’horreur ou le dépôt, sa tranquillité. C’est par le cœur qu’on connaîtra que quelqu’un est calme.

 

2.2. Cœur, source de la vie volitive.

Le cœur est la source de la vie volitive, symbole de l'amour. Quelques qualités ou valeurs humaines procèdent du cœur. C’est le cas des convoitises, la volonté, l'amour, la décision tenace, le refus, la lâcheté… Le cœur est le centre de la personne même.

Le cœur se donne à éprouver et à connaître en premier lieu dans l'éclosion d'un amour. Un amour, à un plan tout humain,  c'est la naissance d'un monde nouveau, la promesse d'une délivrance et d'une vie nouvelle. En tout amour véritable, il y a la soif de l'absolu et de l'infini. Dans l'amplitude totale et cosmique d'un amour neuf, ce que le cœur apporte, c'est la résonance du sentiment dans l'intégralité de l'organisme humain. Le cœur figure et concrétise l'union de l'âme et du corps, de l'esprit et de la sensibilité, de la volonté et du désir. L'amour est plus que tout l'appel au don: "aimer c'est tout donner et se donner soi-même"[4].

Le cœur, c'est d'abord la découverte de l'amour comme de la seule force qui peut donner de vivre. C'est dans le consentement au don de soi que le cœur profond commence à se dégager et à se révéler. Ici le cœur veut dire l'engagement de la personne dans ses paroles et dans ses actes, c'est-à-dire la sincérité et la fidélité.

Toute personne droit doit tenir ses promesses et ne pas trahir ses engagements. La fidélité est donc l’une des qualités distinctives du cœur de sorte que l’ami fidèle est, selon la sagesse populaire rwandaise, aussi précieux que la vie : « Inshuti idahemuka iguranwa amagara »[5]. Ainsi, pour garder la fidélité, on est invité à s’écarter de la mauvaise compagnie et éviter certaines conversations soutenues.

 

2.3. Cœur, siège de la vie intellectuelle.

Le cœur signifie le muscle, mais aussi le sentiment, la raison et la décision. Il est considéré non seulement sous son aspect d'organe émotif, mais aussi sous celui d'organe intérieur. Il semblait tout indiqué pour être l'organe de la pensée, qui est une activité intérieure, cachée à la vue. Le cœur est le siège de la mémoire, l'endroit où sont mis en réserve les souvenirs. Il est au service de la sagesse.

Le rôle central du cœur est par excellence le lieu de notre identité. C'est le centre intime de l'être, principe de toute pensée et de tout jugement, comme de toute volonté libre et de tout amour. Le cœur lui-même est double : « dans le cas du mensonge ou de la dissimulation, il y a dans l’homme comme un repli du cœur où il voit la vérité et un autre repli où il reçoit le mensonge »[6]. C’est ce que la sagesse populaire rwandaise appelle « kugira imitima ibili ».

Dès sa jeunesse, l’homme apprend à se maîtriser et à se composer un personnage. Devant le public, le ton de sa voix sera mesuré pour que personne n’entre pas directement dans son intérieur. Les gestes ne seront jamais brusques, la conversation n’abordera pas directement le sujet à vif ; au contraire elle roule d’abord sur les sujets anodins et les plus banals. Les chemins détournés sont ceux qui permettent d’arriver le plus sûrement au but.

La prudence est une preuve de bonne éducation et un devoir social. Il est très significatif, pour les religieux, d’être prudent, de faire attention, de se montrer sage, et de ne jamais s’engager à la légère. Dans toutes ses demarches, il agira toujours avec beaucoup de précautions. La bienveillance et la douceur sont vraiment efficaces pour acquérir la faveur des autres : « ubwira ntiburusha ubuntu kuronka », ce qui veut dire que la hâte n’obtient pas plus que la bonté.

 

2.4. Cœur, source de conscience.

La gratitude ou la reconnaissance est une autre qualité essentielle du cœur. Ce dernier, situé au plus profond de l'homme, est à la fois l'élément fondamental de la personne et la centrale des affections. Pour les Rwandais, "la valeur première de l'homme, considéré dans sa dimension personnelle, c'est d'avoir un cœur, un cœur beau et bon, un cœur viril selon l'expression ' kugira umutima wa kigabo', c'est-à-dire avoir un cœur d'homme"[7]. Le cœur c’est l’intérieur de l’homme, par opposition à l’extérieur mieux encore, c’est en lui que se trouve la personnalité même de l’homme, ce par quoi cet homme est lui-même, et pas un autre[8].

C'est le cœur qui fait l'unité de l'homme, qui harmonise toutes ses puissances et toutes ses vertus. Or l'homme n'est vraiment lui-même que dans l'équilibre et l'unité de ses qualités et de ses richesses spirituelles. Du fait que le jugement de  la valeur de l'homme porte plus sur son cœur, on dira d’un homme méchant  ou insensible aux autres qu’il n’a pas de cœur. Il ressemble à l’animale qui n’a pas de cœur. D’après Dominique Nothomb, l’homme doit incarner en lui le courage et la simplicité, et briller plus encore par sa modestie que par sa distinction[9]. Delà, l’homme est invité à cultiver un caractère droit et énergique, digne et simple dans toutes ses manières.

 

 

3.  VIE COMMUNAUTAIRE.

 

La vie relationnelle, en communauté, est vécue par les personnes : Pour que cette vie aboutisse à leur réussite et leur épanouissement, il est nécessaire qu'elle s'y donne avec bonne volonté, en suivant la tradition des anciens. Car l'homme survit parce qu'il reste attaché à la famille. Ses intérêts passent après les intérêts de la communauté. L'unité et l'harmonie au sein de la famille priment beaucoup.

 

3.1. Communion et communauté.

A l’époque, les hommes vivaient en groupe homogènes, tous issus plus ou moins de la même famille, ayant les mêmes racines. De là nous pouvons définir la communauté comme étant un groupe de gens qui vivent ensemble un même idéal, qui parlent la même langue et qui vivaient des mêmes rites et traditions. Ces gens avaient le même mode de vie et acceptaient la même autorité. Ils étaient solidaires entre eux et chacun se sentait en sécurité.

Avec l’arrivée du christianisme, les choses ont changé. Ceux qui forment des communautés ne font plus partie du groupe homogène. La communauté n’est plus au niveau de la chaire et du sang, ni de la même nécessité. La communauté est beaucoup plus que ça.

« L’amour du Christ a réuni à un grand nombre de disciple pour arriver à être une seule chose en fin que dans l’esprit, comme lui et en lui, puissent répondre à l’amour du Père au long des siècles, l’aimant avec tout le cœur, avec tout âme, avec toutes les forces (Dt 6, 5) et aimant le prochain comme soi-même (Cfr Mt 22, 39) »[10].

A partir de cette citation nous définissons la communauté comme étant un groupe de personnes qui ont quitté les lieux où ils habitaient jusque là, pour venir habiter avec d’autres sous un même toit, créer entre elles des relations interpersonnelles, vivre et travailler selon une vision nouvelle de la personne humaine et de ses relations avec ses semblables et avec Dieu. Il ne suffit donc pas de mettre sous le même toit des personnes qui s’entendent à peu près ou qui soient engagées par rapport à un même idéal, pour qu’il ait communauté. La vie communautaire n’est pas simplement faire de spontanéité ni uniquement de loi. Elle nécessite une certaine discipline et une nourriture particulière. Il y a des conditions précises, nécessaires pour que cette vie communautaire puisse s’approfondir et s’épanouir à travers les crises, les tensions et les bons moments.

La communauté est rude. Elle est une merveilleuse aventure, mais aussi une source de vie. Car, La communauté est  un corps, et dans le corps chacun membre est important : chaque membre avec ses qualités et ses défauts, a un don particulier à apporter pour que la vie communautaire soit un bon témoignage de l’amour du Christ et atteigne sa plénitude.

Au cœur de la communauté, on doit avoir la confiance les uns dans les autres, né du pardon quotidien et de l’acceptation de nos faiblesses, de nos pauvretés et de celles des autres. Mais cette confiance ne naît pas en un jour. C’est pour cela qu’il faut du temps pour former une communauté. La prière est l’un des plus grands levains qui fera grandir la communauté. Car la prière a une grande puissance comme nous le voyons dans l’exemple de Jésus qui, chaque fois avant de faire un projet, passe un bon moment entrain de prier. Que sera l’avenir d’une communauté qui ne prie pas, mais qui compte seulement sur la capacité intellectuelle de ses membres?

La communauté n’est pas donc une cohabitation, ce n’est pas une caserne ou un hôtel. Elle est ne plus une équipe de travail ou encore moins un nid de vipères ! C’est le lieu où la majorité est en train d’émerger des ténèbres de l’égocentrisme à la lumière de l’amour. Et comme c’est connu de tous, l’amour n’est ni sentimentalisme ni émotion passagère. L’amour est la reconnaissance d’une alliance, d’une appartenance mutuelle. Aimer c’est écouter l’autre, être concerné par lui et se sentir en communion profonde avec lui. C’est voir sa beauté et la lui révéler. C’est répondre à son appel et à ses besoins les plus profonds. C’est partager et souffrir avec lui.

Aimer c’est aussi être heureux quand l’autre est là, être triste quand il est absent. C’est demeurer mutuellement l’un dans l’autre prenant refuge l’un dans l’autre. « L’amour est une puissance unificatrice » dit Denys l’Aréopagite.

Une communauté n’est pas seulement un groupe de gens qui vivent ensemble et qui s’aiment. C’est un lieu de résurrection, un courant de vie : un cœur, une âme, un esprit (cf Ph 2, 1-2 ; Ac 4,32). Ainsi, nées, non de la chair ou du sang ni de sympathie personnelles ou de motifs humaines, mais de Dieu (Jn 1, 13), d’une vocation divine et d’une divine attraction, les communautés religieuses sont un signe vive de la primatie de l’amour de Dieu et aux hommes, comme l’a manifesté et vécu Jésus Christ.

 

3.2. Fraternité.

Le besoin d’appartenir à une forme ou une autre de communauté est inhérent à la nature humaine. D'habitude, l'homme se connaît, se comprend dans et par ses relations à autrui. La personne, en relation avec l'autre, a une force intérieure de lui-même qui le pousse à aller vers son voisin. Un acte d'alliance très spéciale dans la vie religieuse est fondé sur le baptême. Ce pacte est une résolution par laquelle le fidèle décide de rester fidèle à Dieu et à son confrère ou consœur.  C'était un accord constant de la fraternité et de dévouement mutuel.

Une communauté fraternelle et unie est appelée à être chaque d plus un élément important et éloquente de la contre-culture de l’évangile. Elle doit être sel de la terre et lumière du monde.  Il ne faut pas oublier que la paix et la joie d’être ensemble continue à être des signes du règne de Dieu. Une fraternité sans joie est une fraternité qui s’arrête. Cette atmosphère de joie vient du fait que chacun se sent libre d’être lui-même dans ce qu’il a de plus profond. Il n’a pas besoin de jouer en personnage, de prétendre être mieux que les autres, d’essayer de faire des prouesses, pour être aimé.

La communauté est faite de délicatesse entre personne dans le quotidien. Elle est faite d petits gestes, de prévenances, de services et de sacrifices. Dans la communauté on doit laisser l’autre passer devant, ne pas essayer dans une discussion de prouver que l’on a raison. Il faut prendre sur soi les petites fardeaux pour en décharger le voisin.

 Au sein de la communauté, les liens doivent être de telle sorte que tous les membres soient considérés comme des frères. Mais souvent nous menons une vie cachée où chacun s’occupe  de ses affaires ou se préoccupe de ce qui est à lui et rien de plus. Dans la culture rwandaise, il est considéré comme fou celui qui vit seul..., les enfants doivent manger ensemble, c'est-à-dire dans une même assiette. De même, les enfants sont invités à dormir ensemble sur un même lit. Cette solidarité dans le manger et le dormir facilité la socialisation: on ne peut faire du mal à quelqu'un avec qui on dort ou mange"[11]. Comment cultiver cette mentalité dans les communautés religieuses ? L’expression "frère", ici ne désigne pas seulement le frère de même parent ni de même groupe familial, mais aussi celui avec qui je partage la même foi, la même communauté. Ce rapprochement doit créer , entre les membres de même communauté, un code de comportement dans lequel chacun est porté par l'attention bienveillante de tous  et que chacun doit observer dans ses rapports avec les autres.

Leurs relations devraient être amicales. Les uns doivent devenir confidents des autres de telle manière qu’il y ait, entre eux, quelque chose qui est comme une union réciproque et active.

Cependant, dans plusieurs communautés religieuses, un danger guette ce lien : des fois on y observe le tribalisme et l'individualisme. Actuellement, chacun se suffit lui-même, car il connaît tout ou il se préoccupe de satisfaire les siens au mépris du reste. Dans la distribution des taches, il y a une préférence des uns des autres qui se fait même en dépit des compétences professionnelles ou des valeurs humaines et morales exigées. Ceci est contre la fraternité qui devrait régner au sein de la communauté.

Dans toute la dynamique communautaire, Christ dans le mystère pascal, reste le modèle de comment se construit l’unité. Le commandement de l’amour mutuel a précisément en lui la source, la modèle et la mesure que nous devons déjà nous aimer comme lui nous a aimé. Et lui nous a aimé jusqu’à donner la vie. Notre vie est une participation à la charité du Christ, à l’amour du Père et aux frères. Cette amour est l’amour qui s’oublie totalement.

 

3.3. La solidarité.

La sagesse populaire rwandaise nous dit : "Abantu ni magirirane", c'est-à-dire les hommes, c'est la réciprocité[12]. Ainsi donc, personne ne peut se suffire à lui-même. L'homme seul ne peut subsister, ne peut résister aux dangers qui le menacent. Mais alors comment pouvait-on reconnaître la solidarité religieuse  et en quoi consistait-elle? La solidarité constitué d'une réalité complexe, comportant à la fois la communion actuelle à une même réalité existentielle et à la fois la communication, ou le renforcement de cette union vitale"[13]. Et Jésus lui-même disait à ses disciples: « on vous reconnaîtra que vous êtes mes disciple, parce que vous vous aimez »

La sagesse populaire disait: "nta mugabo umwe", c'est-à-dire il n'y a pas d'homme qui puisse être seul, ou encore "inkingi imwe ntigira inzu", c'est-à-dire un seul pilier ne suffit pas pour avoir une maison[14]. A travers ces deux proverbes, le Rwandais voulait dire que l'homme isolé de la société n'est pas un homme.

Le sens des relations interpersonnelles caractérise l’homme dans son être profond. Certains auteurs ont pensé l'être humain comme un "être avec". Cet "être avec" comme le signale le père Matunguru[15], signifie communion, participation à la vie de ceux qu'on aime; bref, solidarité. Même si le cœur de cette communion est d'abord le lien du sang, les religieux ne sont pas enfermé dans ce lien. Ils nouent des relations amicales et fraternelles au-delà de sa famille ou de son ethnie.

La solidarité est une valeur très chère où reposent la force et la vie de la communauté religieuse. C’est une valeur irrécusable sur laquelle se fonde la vie de la communauté. A travers la formation, on apprenne aux jeunes à devenir des éléments intégrés dans la vie de la communauté. On les forme aux valeurs humaines, entre autres la solidarité, l’honnêteté, la sincérité, la transparence, la franchise, etc. Suite à cette formation donnée, chacun dans sa capacité, va pouvoir contribuer à la vie de toute la communauté.

Dans la vie courante celui qui s'isolait de la société sans motif valable, est parfois l'objet de toutes sortes de soupçons. On l'accuse de sorcellerie, de quelqu'un de mauvais cœur ou de possédé, etc. Dans la communauté religieuse, il sera aussi l’objet de grande discussion. Car la communauté est comblée par la contribution de chaque membre. C'est le cas, par exemple, de pastoral, élaboration de projet communautaire, prise de certaines décisions, entraide mutuelle au niveau humaine, intellectuelle, spirituel, etc. La solidarité vécue de cette façon crée parmi les membres de la communauté une identité. Ce qui arrive à un individu, concerne tous les membres. Cela signifie que dans la communauté personne n’est jamais seul. Elle est quelqu’un toujours avec les autres, pas seulement dans la joie, mais aussi dans la détresse. Étant avec les autres, il doit apporter sa contribution au bien-être de toute la communauté.

Cette relation de solidarité avec les autres se manifeste dans l’accueil et l’hospitalité. Car les relations interpersonnelles vécues dans la communauté sont considérées comme une réalité sacrée pour laquelle on doit tout sacrifier. On doit reconnaître l'incarnation de Dieu dans chacun des membres de la communauté. En effet, Dieu a créé l’homme à son image et à son ressemblance (Gn 1,27), et chacun est membre d’un même corps qui est le Christ (1Cor 12, 27).

La solidarité permet à l'individu de rechercher non seulement sa réussite personnelle, mais aussi et surtout celle de toute la communauté. Sur la base de ce principe, chacun est appelé à se sentir en quelque sorte responsable de sa communauté. C'est ce qu'on pouvait appeler le sens communautaire. Chacun des membres de la communauté doit apprendre à vivre non seulement avec les autres, mais aussi à vivre pour les autres.

La solidarité se manifeste dans la vie quotidienne. Par exemple l'habitude universelle de se saluer mutuellement d'un mot gentil, presque à chaque rencontre, est une première marque de ce sentiment de solidarité fraternelle. Lorsqu'on croisait un confrère ou une consœur, on lui adresse une parole de salutation en lui demandant si tout va bien ou en lui souhaitant les belles choses en vue de lui faire sentir qu'il est dans un monde de communication, ou dans une communauté où chacun compte sur l'autre.

Cet amour des relations qui se traduit par les gestes d'accueil et de partage constitue quelques chose de nécessité à sa vie. Cette primauté donnée à l'accueil de l'autre, à la relation avec l'autre, n'est-ce pas une nouvelle manière de vivre l'amour? Rappelons ici que le Rwandais disait que "aho umwaga utari, uruhurw'urukwavu rwisasira batanu", c'est-à-dire là où il n'y a pas de grincheux, une peau de lièvre sert de couche à cinq personnes[16]. Si la maison est pleine pour la nuit, on se serre de bonne grâce encore un peu pour tranquilliser l'hôte imprévu. Pour les Rwandais les règles d'hospitalité sont les plus contraignantes. Basée sur les valeurs humaines les plus louables, l'hospitalité est le prolongement de la vie communautaire.

Dans la vie communautaire, pour que tout marche bien en vue de consolider la fraternité, le partage et la solidarité, les aspects suivants sont nécessaires pour chacun des membres de la même communauté :

1. La sincérité: qui consiste à être vraiment soi-même, sans souci de façade ou de duplicité. Même si le sang nous influence à être identiques et semblables, la sincérité suppose que l'on se soit accepté tel que l'on est, avec ses qualités et ses défauts. Pour cela, il faut se connaître bien soi-même en vue d'améliorer son comportement.

2. L'acceptation de l'autre tel qu'il est: Pour qu'un entretien authentique puisse avoir lieu, il faut que chacun voit son compagnon, cet homme que voilà, cet homme  exactement. Cela demande qu'on soi prêt pour une remise en cause de ses propres idées, et pour accepter la part de vérité que les autres apportent. Celui qui ne connaît que son intérêt et ses avantages personnels, est incapable d'une vraie rencontre des autres.

3. L'écoute et l'attention mutuelle: Elles se fondent sur l'acceptation intérieure sincère par chacun, de soi-même et de tous ses compagnons. La tension entre similitude et différence engendre une autre tension entre les partenaires. La source de cette tension est la tentation d'annuler les différences, ou forcer l'autre, le vouloir soumis, semblable, conforme au modèle qu'on souhaite. De là découle une lutte, une lutte pour ne pas se laisser détruire et anéantir, pour rester "soi". Il faut qu'il y ait donc une intention intime de vouloir accueillir et comprendre la pensée de l'autre. Même si j'ai à m'opposer à l'autre, à contredire son point de vue, je dois dire oui à la personne que je combats. Il faut connaître aussi qu'à côté de notre point de vue personnel, il y en a d'autres différents, mais proches de la vérité.

4. L'humilité d'esprit et de cœur: Celui qui est prisonnier de sa suffisance et de son orgueil, n'est pas apte à accueillir et à comprendre. Il est fermé sur lui-même et ne peut pas entrer en communication vraie avec les autres.

 

 

CONCLUSION

 

Si les inégalités ne sont pas injustes en elles-mêmes, il n'en demeure pas moins nécessaire, au nom de l'égale dignité de tous les membres de la société, de les réduire ou au moins de les organiser de manière à ce qu'elles soient profitables à tous. La réduction des inégalités ne viole donc aucun droit, parce que personne ne mérite sa naissance dans une situation favorable ou défavorable. Personne n'a demandé de naître homme ou femme, blanc ou noir, esclave ou homme libre. Personne n'a au départ mérité sa place dans la société.

Pour vivres comme des frères, c’est nécessaire un vrai cheminement de libération intérieur. La communauté, à l’intérieur de l’Eglise, peuple de Dieu, est construite par des personnes libérées par le Christ et capable d’aimer comme lui, moyennant son amour libérateur.

Aujourd’hui que jamais, nous sommes appelés à prendre conscience de l’unité fondamentale de la communauté et à aider tout un chacun à travers son identité et sa place dans la communauté, et à s’ouvrir de plus en plus aux autres. Car le danger qui guette les communautés est de se fermer sur soi. L’individualisme et le matérialisme conduisent à la rivalité, à la compétition et au rejet du faible. La communauté achemine vers l’ouverture et l’accueil. Si la communauté et la communion n’existent pas, le cœur se ferme et meure.

La communauté religieuse est le lieu où se vérifie le quotidien et proche pas de « Moi » à « Nous », de ma promesse à la promesse confiée à la communauté, de la recherche de mes choses à la recherche des choses du Christ. Mais surtout une communauté religieuse fraternelle soutient en vérité le devoir de défendre le climat de communion qui aide toute la communauté chrétienne à se sentir la famille des enfants de Dieu.

Selon Jean Vanier (pp15-16), la communauté est un lieu de rencontre avec Dieu, lieu de la théophanie. C’est le lieu d’appartenance, de l’amour et de l’accueil, du souci des autres et de la croissance dans l’amour[17].

La communion naît précisément de la communication des biens de l’Esprit, une communication de foi et dans la foi où le lien de fraternité est  ce qui se met en commun. Cette exercice de communication sert aussi à apprendre à se communiquer en vérité permettant après à chacun le propre de la foi en termes faciles et simples afin que tous peuvent comprendre et se plaire. Que puissions-nous découvrir le cœur humain comme élément fondamental d’union et d’unité entre les hommes. Que notre union fraternelle parte des cœurs animés par la charité afin que notre communion de vie et relation interpersonnelle soient un vrai témoignage du Ressuscité.

 


[1] J. Riolan, Anthropographie, 1.III, c.XIII, 1629, p. 537, cité par Collectif, Pour une civilisation du cœur.                                                Vers la glaciation ou le réchauffement du monde, Ed. de l'Emmanuel, Paris, 2000,  p. 53. (Sous la                     responsabilité de J.- l. Brugues et B. Peyrous)

[2] Art, "Cœur", dans Encyclopedia Universalis, Paris, 1985, Corpus n° 5, p. 32, cité par Collectif, Ibid.,73.

[3] Collectif, Op. cit., p. 99.

[4] Thérèse de l'enfant Jésus, Pourquoi je t'aime, ô Marie, PN 54, de mai 1897, Cité par COLLECTIF, Op. Cit.,    p. 96. 

[5] J.C. Kananura, Uburezi-shingiro bw’i Rwanda, Butare, 1980, p. 260.

[6] Collectif, Op., cit., p. 118.

[7] Nothomb, Op., Cit., p. 25.

[8] Cf  Ibid., p. 26.

[9] Ibid., p. 25.

[10]Congregación para los Institutos de vida consagrada y las sociedades de vida apostólica, La vida fraterna    en comunidad, San Pablo, Buenos Aires, 1994, N 1.

[11] P. Erny, Rwanda 1994, clés pour comprendre le calvaire d'un peuple, Paris, L'harmattan, 1994, p. 174- 175.

[12] Idem, p. 149.

[13] Idem, p. 162.

[14] A. Ntagara, "L'éthique rwandais à travers les proverbes traditionnels", in actes du symposium     international de philosophie (Kigali, 31 juillet 6 7 août 1983), Sagesse et vie quotidienne en Afrique,  Numéro spécial, N° 15, ( Janvier - mars)1987, p. 137.

[15] Cf. O. Matunguru, Op. cit.  

[16] A. Ntagara, At. Cit., p. 138.

[17] J. Vanier, la communauté lieu du pardon et de la fête, Éditions Fleurus/ Bellarmin, Paris/Montréal, 1989, pp. 15- 16.