INTRODUCTION.
L'un des sens
symboliques du cœur est d'être le centre de la
personne humaine, l'expression de ce qu'il y a de plus
profond et de plus intime dans l'homme. Or,
par nature la personne humaine a besoin de la vie
sociale. C'est pourquoi dès sa naissance, elle se
trouve entourée par ses semblables, petits et grands.
Ces derniers lui doivent une éducation qui va jusqu'à
l'âge de prendre ses propres responsabilités au sein
du groupe ou de la famille.
La
première et la plus importante éducation est celle du
cœur. Celle-ci revient d'abord aux parents, mais sans
toutefois oublier l'intervention de toute la communauté.
Car cette unité fondamentale fait appel à l'amour, et
ces deux entités
sont inséparables. Le
cœur et l'amour sont donc deux grands piliers de la vie
humaine. Ainsi, la vie ne sera significative que
lorsqu'elle reflète ce qui est au fond du cœur.
L’éducation
du cœur implique la connaissance et l’acceptation de
soi-même, bases fondamentales de tout relation humaine.
Il faut que dans toute relation je soi « moi »
et que toi tu soi « toi ». Toi et moi,
l’un et l’autre, c’est ce qui fait cette base
d’une rencontre riche et féconde. Autrement dit aucune
relation ne pourra jamais réussir entre des personnes
qui ne sont pas mues par un grand amour de la vérité,
et par une volonté forte de servir le bien commun.
Dans
toutes les cultures et d’une manière générale, le cœur
est une réalité intérieure très riche de sens,
multiple, complexe, mais aussi invisible. Pour exprimer
ce qu'il y a de plus humain dans l'homme, certaines
cultures exaltent, dans l'homme, son intelligence ou sa
volonté, les autres trouvent que la plus grande caractéristique
de l'homme est son cœur. Car, pour
connaître et décrire quelqu’un, il faut tout d'abord comprendre ce qui
est au plus profond de lui-même.
Si
le cœur, que la plupart des traditions considèrent
comme l'unité fondamentale de l'homme, est aussi l'unité
dynamique par laquelle l'homme cherche à se mettre en
communion avec Dieu, avec ses semblables et avec lui-même,
comment peut-il être aussi le centre de notre vie
communautaire? Autrement dit, comment nos communautés
peuvent êtres le lieu privilégieux
de la manifestation de ce qu'il y a de plus
intime dans le cœur de ses membres? Pour répondre à
cette interrogation nous allons d'abord parler de la
signification du cœur dans le contexte rwandais.
Ensuite, nous parlerons des attributs du cœurs. Enfin,
nous parlerons de la vie communautaire.
1.
LA SIGNIFICATION DU COEUR.
L'homme,
déclare le grand Larousse, est un mammifère bimane à
station verticale, doué de langage et de raison. Par la
définition logique, par le genre et l'espèce, l'homme
est un animal rationnel. Or, pour se connaître comme
existant, l'homme, par sa propre raison, ne perçoit que
son cœur.
Le
cœur de l'homme est qualifié comme étant, tout
d'abord, la notion de centre de toute chose. Alors que
Meletius dit que le cœur est "le fourneau de la
chaleur naturelle, c'est-à-dire la chaleur qui permet
l'élaboration de l'esprit vital". J. Riolan, dans
Anthropographie, nous dira que "Le cœur est [...]
la plus excellente des parties, le siège de l'âme
irascible, le principe de la faculté et de l'esprit de
vie; l'origine de la chaleur naturelle, et le soleil de
nos corps"[1].
Delà, nous pouvons dire que le cœur est l'organe le
plus nécessaire pour vivre. Le cœur communique la vie
au corps, car "il est doté de propriétés spécifiques,
dont la plus remarquable est sa relative autonomie
fonctionnelle ou automatisme cardiaque. Celui-ci permet
d'entretenir la vie végétative, celle du sujet qui se
repose ou qui dort"[2]
Le
but premier du cœur est la nutrition de l'ensemble de
l'organisme. Pour comprendre la nécessité du cœur
dans le système digestif, il faut revenir à des vérités
premières élémentaires mais décisives. En effet, le
vivant se caractérise par son autonomie, son auto
mouvement, sa capacité à se nourrir, c'est-à-dire à
transformer en sa propre substance des êtres d'une
nature autre que la sienne.
"Le
cœur est proprement le centre de la vie. Nous désignons
par-là, bien sûr, l'organe aux battements duquel est
liée la vie du corps, mais nous entendons aussi familièrement
sous ce terme le fin fond de l'âme, manifestement parce
que le cœur est au plus haut point intéressé à ce
qui se vit au plus profond de l'âme, et parce que la
connexion du corps et de l'âme n'est nulle part plus
directement sensible"[3].
La
langue est impuissante à dire ce que comprend le cœur.
Parfois aussi, le cœur, manifesté par les actes, nie
ce que la voix affirme. Par
crainte, on n'ose pas dire ce qu'on sait ou ce qu'on
croit. Par dissimulation, on dit ce qu'on n'a pas dans
le cœur. Pour
être en paix avec soi-même, il est nécessaire au
contraire que les lèvres disent ce que le cœur
renferme, et cela contre toute crainte, et que le cœur
renferme ce que disent les lèvres, et cela contre toute
dissimulation.
Les
images les plus fréquentes pour évoquer le cœur sont
celles de l'intériorité. Ces images suggèrent les
profondeurs secrètes du cœur. Cette propriété du cœur
est ce qui permet à l'homme de cacher ce qu'il pense.
Mais elle préserve aussi sa liberté, quelle que soit
la contrainte extérieure que l'on fait peser sur lui.
2.
LES ATTRIBUTS DU COEURS.
Le cœur est
le centre le plus profond de l'âme. Dans la plupart des
langues africaines, le mot "cœur" désigne à
la fois l'organe central du corps et le foyer des
sentiments profonds. Mais qu'est ce le cœur d'après le
Rwandais? Il
est beaucoup de choses et même il est tout.
2.1.
Cœur, expression de la vie affective et émotionnelle.
Le cœur est
considéré comme source ou demeure secrète, sorte de
poste récepteur et émetteur de tout ce que l'homme
ressent. C'est du cœur que procèdent toutes les émotions
humaines. Car
c’est de cette unité fondamentale que l’homme
exprime son inquiétude, sa frayeur, sa tristesse,
l’impulsion ou la colère, l’horreur ou le dépôt,
sa tranquillité. C’est par le cœur qu’on connaîtra
que quelqu’un est calme.
2.2.
Cœur, source de la vie volitive.
Le
cœur est la source de la vie volitive, symbole de
l'amour. Quelques
qualités ou valeurs humaines procèdent du cœur. C’est
le cas des convoitises, la volonté, l'amour, la décision
tenace, le refus, la lâcheté… Le cœur est le centre
de la personne même.
Le
cœur se donne à éprouver et à connaître en premier
lieu dans l'éclosion d'un amour. Un amour, à un plan
tout humain, c'est
la naissance d'un monde nouveau, la promesse d'une délivrance
et d'une vie nouvelle. En tout amour véritable, il y a
la soif de l'absolu et de l'infini. Dans l'amplitude
totale et cosmique d'un amour neuf, ce que le cœur
apporte, c'est la résonance du sentiment dans l'intégralité
de l'organisme humain. Le cœur figure et concrétise
l'union de l'âme et du corps, de l'esprit et de la
sensibilité, de la volonté et du désir. L'amour
est plus que tout l'appel au don: "aimer c'est tout
donner et se donner soi-même"[4].
Le
cœur, c'est d'abord la découverte de l'amour comme de
la seule force qui peut donner de vivre. C'est dans le
consentement au don de soi que le cœur profond commence
à se dégager et à se révéler. Ici le cœur veut
dire l'engagement de la personne dans ses paroles et
dans ses actes, c'est-à-dire la sincérité et la fidélité.
Toute
personne droit doit tenir ses promesses et ne pas trahir
ses engagements. La
fidélité est donc l’une des qualités distinctives
du cœur de sorte que l’ami fidèle est, selon la
sagesse populaire rwandaise, aussi précieux que la vie : « Inshuti
idahemuka iguranwa amagara »[5]. Ainsi, pour garder la fidélité, on est invité à
s’écarter de la mauvaise compagnie et éviter
certaines conversations soutenues.
2.3.
Cœur, siège de la vie intellectuelle.
Le
cœur signifie le muscle, mais aussi le sentiment, la
raison et la décision. Il
est considéré non seulement sous son aspect d'organe
émotif, mais aussi sous celui d'organe intérieur. Il
semblait tout indiqué pour être l'organe de la pensée,
qui est une activité intérieure, cachée à la vue. Le
cœur est le siège de la mémoire, l'endroit où sont
mis en réserve les souvenirs. Il est au service de la
sagesse.
Le
rôle central du cœur est par excellence le lieu de
notre identité. C'est le centre intime de l'être,
principe de toute pensée et de tout jugement, comme de
toute volonté libre et de tout amour. Le cœur lui-même
est double : « dans le cas du mensonge ou de
la dissimulation, il y a dans l’homme comme un repli
du cœur où il voit la vérité et un autre repli où
il reçoit le mensonge »[6].
C’est ce
que la sagesse populaire rwandaise appelle « kugira
imitima ibili ».
Dès
sa jeunesse, l’homme apprend à se maîtriser et à se
composer un personnage. Devant le public, le ton de sa
voix sera mesuré pour que personne n’entre pas
directement dans son intérieur. Les gestes ne seront
jamais brusques, la conversation n’abordera pas
directement le sujet à vif ; au contraire elle
roule d’abord sur les sujets anodins et les plus
banals. Les
chemins détournés sont ceux qui permettent d’arriver
le plus sûrement au but.
La
prudence est une preuve de bonne éducation et un devoir
social. Il est très significatif, pour les religieux,
d’être prudent, de faire attention, de se montrer
sage, et de ne jamais s’engager à la légère. Dans
toutes ses demarches, il agira toujours avec beaucoup de
précautions. La
bienveillance et la douceur sont vraiment efficaces pour
acquérir la faveur des autres : « ubwira
ntiburusha ubuntu kuronka »,
ce qui veut dire que la hâte n’obtient pas plus que
la bonté.
2.4.
Cœur, source de conscience.
La
gratitude ou la reconnaissance est une autre qualité
essentielle du cœur. Ce dernier, situé au plus profond
de l'homme, est à la fois l'élément fondamental de la
personne et la centrale des affections. Pour les
Rwandais, "la valeur première de l'homme, considéré
dans sa dimension personnelle, c'est d'avoir un cœur,
un cœur beau et bon, un cœur viril selon l'expression
' kugira umutima
wa kigabo', c'est-à-dire avoir un cœur
d'homme"[7].
Le cœur c’est l’intérieur de l’homme, par
opposition à l’extérieur mieux encore, c’est en
lui que se trouve la personnalité même de l’homme,
ce par quoi cet homme est lui-même, et pas un autre[8].
C'est
le cœur qui fait l'unité de l'homme, qui harmonise
toutes ses puissances et toutes ses vertus. Or l'homme
n'est vraiment lui-même que dans l'équilibre et l'unité
de ses qualités et de ses richesses spirituelles. Du
fait que le jugement de
la valeur de l'homme porte plus sur son cœur, on
dira d’un homme méchant
ou insensible aux autres qu’il n’a pas de cœur.
Il ressemble à l’animale qui n’a pas de cœur.
D’après Dominique Nothomb, l’homme doit incarner en
lui le courage et la simplicité, et briller plus encore
par sa modestie que par sa distinction[9].
Delà, l’homme est invité à cultiver un caractère
droit et énergique, digne et simple dans toutes ses
manières.
3. VIE COMMUNAUTAIRE.
La
vie relationnelle, en communauté, est vécue par les
personnes : Pour que cette vie aboutisse à leur réussite
et leur épanouissement, il est nécessaire qu'elle s'y
donne avec bonne volonté, en suivant la tradition des
anciens. Car l'homme survit parce qu'il reste attaché
à la famille. Ses intérêts passent après les intérêts
de la communauté. L'unité et l'harmonie au sein de la
famille priment beaucoup.
3.1.
Communion et communauté.
A l’époque,
les hommes vivaient en groupe homogènes, tous issus
plus ou moins de la même famille, ayant les mêmes
racines. De
là nous pouvons définir la communauté comme étant un
groupe de gens qui vivent ensemble un même idéal, qui
parlent la même langue et qui vivaient des mêmes rites
et traditions. Ces gens avaient le même mode de vie et
acceptaient la même autorité. Ils étaient solidaires
entre eux et chacun se sentait en sécurité.
Avec
l’arrivée du christianisme, les choses ont changé.
Ceux qui forment des communautés ne font plus partie du
groupe homogène. La
communauté n’est plus au niveau de la chaire et du
sang, ni de la même nécessité. La
communauté est beaucoup plus que ça.
« L’amour
du Christ a réuni à un grand nombre de disciple pour
arriver à être une seule chose en fin que dans
l’esprit, comme lui et en lui, puissent répondre à
l’amour du Père au long des siècles, l’aimant avec
tout le cœur, avec tout âme, avec toutes les forces
(Dt 6, 5) et aimant le prochain comme soi-même (Cfr Mt
22, 39) »[10].
A
partir de cette citation nous définissons la communauté
comme étant un groupe de personnes qui ont quitté les
lieux où ils habitaient jusque là, pour venir habiter
avec d’autres sous un même toit, créer entre elles
des relations interpersonnelles, vivre et travailler
selon une vision nouvelle de la personne humaine et de
ses relations avec ses semblables et avec Dieu. Il ne
suffit donc pas de mettre sous le même toit des
personnes qui s’entendent à peu près ou qui soient
engagées par rapport à un même idéal, pour qu’il
ait communauté. La vie communautaire n’est pas
simplement faire de spontanéité ni uniquement de loi.
Elle nécessite une certaine discipline et une
nourriture particulière. Il y a des conditions précises,
nécessaires pour que cette vie communautaire puisse
s’approfondir et s’épanouir à travers les crises,
les tensions et les bons moments.
La
communauté est rude. Elle est une merveilleuse
aventure, mais aussi une source de vie. Car, La
communauté est un
corps, et dans le corps chacun membre est important :
chaque membre avec ses qualités et ses défauts, a un
don particulier à apporter pour que la vie
communautaire soit un bon témoignage de l’amour du
Christ et atteigne sa plénitude.
Au
cœur de la communauté, on doit avoir la confiance les
uns dans les autres, né du pardon quotidien et de
l’acceptation de nos faiblesses, de nos pauvretés et
de celles des autres. Mais
cette confiance ne naît pas en un jour. C’est pour
cela qu’il faut du temps pour former une communauté. La
prière est l’un des plus grands levains qui fera
grandir la communauté. Car la prière a une grande
puissance comme nous le voyons dans l’exemple de Jésus
qui, chaque fois avant de faire un projet, passe un bon
moment entrain de prier. Que sera l’avenir d’une
communauté qui ne prie pas, mais qui compte seulement
sur la capacité intellectuelle de ses membres?
La
communauté n’est pas donc une cohabitation, ce
n’est pas une caserne ou un hôtel. Elle est ne plus
une équipe de travail ou encore moins un nid de vipères !
C’est le lieu où la majorité est en train d’émerger
des ténèbres de l’égocentrisme à la lumière de
l’amour. Et
comme c’est connu de tous, l’amour n’est ni
sentimentalisme ni émotion passagère. L’amour est la
reconnaissance d’une alliance, d’une appartenance
mutuelle. Aimer
c’est écouter l’autre, être concerné par lui et
se sentir en communion profonde avec lui. C’est voir
sa beauté et la lui révéler. C’est répondre à son
appel et à ses besoins les plus profonds. C’est
partager et souffrir avec lui.
Aimer
c’est aussi être heureux quand l’autre est là, être
triste quand il est absent. C’est demeurer
mutuellement l’un dans l’autre prenant refuge l’un
dans l’autre. « L’amour est une puissance
unificatrice » dit Denys l’Aréopagite.
Une
communauté n’est pas seulement un groupe de gens qui
vivent ensemble et qui s’aiment. C’est un lieu de résurrection,
un courant de vie : un cœur, une âme, un esprit
(cf Ph 2, 1-2 ; Ac 4,32). Ainsi,
nées, non de la chair ou du sang ni de sympathie
personnelles ou de motifs humaines, mais de Dieu (Jn 1,
13), d’une vocation divine et d’une divine
attraction, les communautés religieuses sont un signe
vive de la primatie de l’amour de Dieu et aux hommes,
comme l’a manifesté et vécu Jésus Christ.
3.2. Fraternité.
Le besoin d’appartenir à une forme ou une
autre de communauté est inhérent à la nature humaine.
D'habitude, l'homme se connaît, se comprend dans et par
ses relations à autrui. La personne, en relation avec
l'autre, a une force intérieure de lui-même qui le
pousse à aller vers son voisin. Un acte d'alliance très
spéciale dans la vie religieuse est fondé sur le baptême.
Ce pacte est une résolution par laquelle le fidèle décide
de rester fidèle à Dieu et à son confrère ou consœur.
C'était un accord constant de la fraternité et
de dévouement mutuel.
Une
communauté fraternelle et unie est appelée à être
chaque d plus un élément important et éloquente de la
contre-culture de l’évangile. Elle doit être sel de
la terre et lumière du monde.
Il ne faut pas oublier que la paix et la joie
d’être ensemble continue à être des signes du règne
de Dieu. Une
fraternité sans joie est une fraternité qui s’arrête.
Cette
atmosphère de joie vient du fait que chacun se sent
libre d’être lui-même dans ce qu’il a de plus
profond. Il n’a pas besoin de jouer en personnage, de
prétendre être mieux que les autres, d’essayer de
faire des prouesses, pour être aimé.
La
communauté est faite de délicatesse entre personne
dans le quotidien. Elle est faite d petits gestes, de prévenances,
de services et de sacrifices. Dans
la communauté on doit laisser l’autre passer devant,
ne pas essayer dans une discussion de prouver que l’on
a raison. Il
faut prendre sur soi les petites fardeaux pour en décharger
le voisin.
Au
sein de la communauté, les liens doivent être de telle
sorte que tous les membres soient considérés comme des
frères. Mais souvent nous menons une vie cachée où
chacun s’occupe de
ses affaires ou se préoccupe de ce qui est à lui et
rien de plus. Dans
la culture rwandaise, il est considéré comme fou celui
qui vit seul..., les enfants doivent manger ensemble,
c'est-à-dire dans une même assiette. De même, les enfants sont invités à dormir ensemble sur
un même lit. Cette solidarité dans le manger et le
dormir facilité la socialisation: on ne peut faire du
mal à quelqu'un avec qui on dort ou mange"[11].
Comment
cultiver cette mentalité dans les communautés
religieuses ? L’expression "frère",
ici ne désigne pas seulement le frère de même parent
ni de même groupe familial, mais aussi celui avec qui
je partage la même foi, la même communauté. Ce
rapprochement doit créer , entre les membres de même
communauté, un code de comportement dans lequel chacun
est porté par l'attention bienveillante de tous
et que chacun doit observer dans ses rapports
avec les autres.
Leurs
relations devraient être amicales. Les uns doivent
devenir confidents des autres de telle manière qu’il
y ait, entre eux, quelque chose qui est comme une union
réciproque et active.
Cependant,
dans plusieurs communautés religieuses, un danger
guette ce lien : des fois on y observe le
tribalisme et l'individualisme. Actuellement, chacun se
suffit lui-même, car il connaît tout ou il se préoccupe
de satisfaire les siens au mépris du reste. Dans la
distribution des taches, il y a une préférence des uns
des autres qui se fait même en dépit des compétences
professionnelles ou des valeurs humaines et morales exigées.
Ceci
est contre la fraternité qui devrait régner au sein de
la communauté.
Dans
toute la dynamique communautaire, Christ dans le mystère
pascal, reste le modèle de comment se construit
l’unité. Le commandement de l’amour mutuel a précisément
en lui la source, la modèle et la mesure que nous
devons déjà nous aimer comme lui nous a aimé. Et lui
nous a aimé jusqu’à donner la vie. Notre
vie est une participation à la charité du Christ, à
l’amour du Père et aux frères. Cette amour est
l’amour qui s’oublie totalement.
3.3. La
solidarité.
La sagesse
populaire rwandaise nous dit : "Abantu
ni magirirane", c'est-à-dire les hommes, c'est
la réciprocité[12].
Ainsi
donc, personne ne peut se suffire à lui-même. L'homme
seul ne peut subsister, ne peut résister aux dangers
qui le menacent. Mais alors comment pouvait-on reconnaître
la solidarité religieuse
et en quoi consistait-elle? La solidarité
constitué d'une réalité complexe, comportant à la
fois la communion actuelle à une même réalité
existentielle et à la fois la communication, ou le
renforcement de cette union vitale"[13].
Et Jésus lui-même
disait à ses disciples: « on vous reconnaîtra
que vous êtes mes disciple, parce que vous vous aimez »
La
sagesse populaire disait: "nta
mugabo umwe", c'est-à-dire il n'y a pas
d'homme qui puisse être seul, ou encore "inkingi
imwe ntigira inzu", c'est-à-dire un seul
pilier ne suffit pas pour avoir une maison[14].
A travers ces deux proverbes, le Rwandais voulait dire
que l'homme isolé de la société n'est pas un homme.
Le
sens des relations interpersonnelles caractérise
l’homme dans son être profond. Certains auteurs ont
pensé l'être humain comme un "être avec".
Cet "être avec" comme le signale le père
Matunguru[15],
signifie communion, participation à la vie de ceux
qu'on aime; bref, solidarité. Même
si le cœur de cette communion est d'abord le lien du
sang, les religieux ne sont pas enfermé dans ce lien.
Ils nouent des relations amicales et fraternelles au-delà
de sa famille ou de son ethnie.
La
solidarité est une valeur très chère où reposent la
force et la vie de la communauté religieuse. C’est
une valeur irrécusable sur laquelle se fonde la vie de
la communauté. A travers la formation, on apprenne aux
jeunes à devenir des éléments intégrés dans la vie
de la communauté. On les forme aux valeurs humaines,
entre autres la solidarité, l’honnêteté, la sincérité,
la transparence, la franchise, etc. Suite à cette
formation donnée, chacun dans sa capacité, va pouvoir
contribuer à la vie de toute la communauté.
Dans
la vie courante celui qui s'isolait de la société sans
motif valable, est parfois l'objet de toutes sortes de
soupçons. On l'accuse de sorcellerie, de quelqu'un de
mauvais cœur ou de possédé, etc. Dans la communauté
religieuse, il sera aussi l’objet de grande
discussion. Car la communauté est comblée par la
contribution de chaque membre. C'est le cas, par
exemple, de pastoral, élaboration de projet
communautaire, prise de certaines décisions, entraide
mutuelle au niveau humaine, intellectuelle, spirituel,
etc. La solidarité vécue de cette façon crée parmi
les membres de la communauté une identité. Ce qui
arrive à un individu, concerne tous les membres. Cela
signifie que dans la communauté personne n’est jamais
seul. Elle est quelqu’un toujours avec les autres, pas
seulement dans la joie, mais aussi dans la détresse. Étant
avec les autres, il doit apporter sa contribution au
bien-être de toute la communauté.
Cette
relation de solidarité avec les autres se manifeste
dans l’accueil et l’hospitalité. Car
les relations interpersonnelles vécues dans la
communauté sont considérées comme une réalité sacrée
pour laquelle on doit tout sacrifier. On
doit reconnaître l'incarnation de Dieu dans chacun des
membres de la communauté. En
effet, Dieu a créé l’homme à son image et à son
ressemblance (Gn 1,27), et chacun est membre d’un même
corps qui est le Christ (1Cor 12, 27).
La
solidarité permet à l'individu de rechercher non
seulement sa réussite personnelle, mais aussi et
surtout celle de toute la communauté. Sur
la base de ce principe, chacun est appelé à se sentir
en quelque sorte responsable de sa communauté. C'est
ce qu'on pouvait appeler le sens communautaire. Chacun
des membres de la communauté doit apprendre à vivre
non seulement avec les autres, mais aussi à vivre pour
les autres.
La
solidarité se manifeste dans la vie quotidienne. Par
exemple l'habitude universelle de se saluer mutuellement
d'un mot gentil, presque à chaque rencontre, est une
première marque de ce sentiment de solidarité
fraternelle. Lorsqu'on croisait un confrère ou une consœur,
on lui adresse une parole de salutation en lui demandant
si tout va bien ou en lui souhaitant les belles choses
en vue de lui faire sentir qu'il est dans un monde de
communication, ou dans une communauté où chacun compte
sur l'autre.
Cet
amour des relations qui se traduit par les gestes
d'accueil et de partage constitue quelques chose de nécessité
à sa vie. Cette primauté donnée à l'accueil de
l'autre, à la relation avec l'autre, n'est-ce pas une
nouvelle manière de vivre l'amour? Rappelons ici que le
Rwandais disait que "aho umwaga utari, uruhurw'urukwavu rwisasira batanu", c'est-à-dire
là où il n'y a pas de grincheux, une peau de lièvre
sert de couche à cinq personnes[16]. Si la maison est pleine pour la nuit, on se serre de
bonne grâce encore un peu pour tranquilliser l'hôte
imprévu. Pour les Rwandais les règles d'hospitalité
sont les plus contraignantes. Basée sur les valeurs
humaines les plus louables, l'hospitalité est le
prolongement de la vie communautaire.
Dans
la vie communautaire, pour que tout marche bien en vue
de consolider la fraternité, le partage et la solidarité,
les aspects suivants sont nécessaires pour chacun des
membres de la même communauté :
1.
La sincérité: qui consiste à être
vraiment soi-même, sans souci de façade ou de
duplicité. Même si le sang nous influence à être
identiques et semblables, la sincérité suppose que
l'on se soit accepté tel que l'on est, avec ses
qualités et ses défauts. Pour cela, il faut se connaître
bien soi-même en vue d'améliorer son comportement.
2.
L'acceptation de l'autre tel qu'il est:
Pour qu'un entretien authentique puisse avoir lieu,
il faut que chacun voit son compagnon, cet homme que
voilà, cet homme exactement. Cela demande qu'on
soi prêt pour une remise en cause de ses propres idées,
et pour accepter la part de vérité que les autres
apportent. Celui qui ne connaît que son intérêt et
ses avantages personnels, est incapable d'une vraie
rencontre des autres.
3.
L'écoute et l'attention mutuelle:
Elles se fondent sur l'acceptation intérieure sincère
par chacun, de soi-même et de tous ses compagnons. La
tension entre similitude et différence engendre une
autre tension entre les partenaires. La source de cette
tension est la tentation d'annuler les différences, ou
forcer l'autre, le vouloir soumis, semblable, conforme
au modèle qu'on souhaite. De là découle une lutte,
une lutte pour ne pas se laisser détruire et anéantir,
pour rester "soi". Il faut qu'il y ait donc
une intention intime de vouloir accueillir et comprendre
la pensée de l'autre. Même si j'ai à m'opposer à
l'autre, à contredire son point de vue, je dois dire
oui à la personne que je combats. Il faut connaître
aussi qu'à côté de notre point de vue personnel, il y
en a d'autres différents, mais proches de la vérité.
4.
L'humilité d'esprit et de cœur:
Celui qui est prisonnier de sa suffisance et de son
orgueil, n'est pas apte à accueillir et à comprendre.
Il est fermé sur lui-même
et ne peut pas entrer
en communication vraie avec les autres.
CONCLUSION
Si
les inégalités ne sont pas injustes en elles-mêmes,
il n'en demeure pas moins nécessaire, au nom de l'égale
dignité de tous les membres de la société, de les réduire
ou au moins de les organiser de manière à ce qu'elles
soient profitables à tous. La réduction des inégalités
ne viole donc aucun droit, parce que personne ne mérite
sa naissance dans une situation favorable ou défavorable.
Personne n'a demandé de naître homme ou femme, blanc
ou noir, esclave ou homme libre. Personne n'a au départ
mérité sa place dans la société.
Pour
vivres comme des frères, c’est nécessaire un vrai
cheminement de libération intérieur. La communauté,
à l’intérieur de l’Eglise, peuple de Dieu, est
construite par des personnes libérées par le Christ et
capable d’aimer comme lui, moyennant son amour libérateur.
Aujourd’hui
que jamais, nous sommes appelés à prendre conscience
de l’unité fondamentale de la communauté et à aider
tout un chacun à travers son identité et sa place dans
la communauté, et à s’ouvrir de plus en plus aux
autres. Car le danger qui guette les communautés est de
se fermer sur soi. L’individualisme et le matérialisme
conduisent à la rivalité, à la compétition et au
rejet du faible. La
communauté achemine vers l’ouverture et l’accueil. Si
la communauté et la communion n’existent pas, le cœur
se ferme et meure.
La
communauté religieuse est le lieu où se vérifie le
quotidien et proche pas de « Moi » à
« Nous », de ma promesse à la promesse
confiée à la communauté, de la recherche de mes
choses à la recherche des choses du Christ. Mais
surtout une communauté religieuse fraternelle soutient
en vérité le devoir de défendre le climat de
communion qui aide toute la communauté chrétienne à
se sentir la famille des enfants de Dieu.
Selon
Jean Vanier (pp15-16), la communauté est un lieu de
rencontre avec Dieu, lieu de la théophanie. C’est le
lieu d’appartenance, de l’amour et de l’accueil,
du souci des autres et de la croissance dans l’amour[17].
La
communion naît précisément de la communication des
biens de l’Esprit, une communication de foi et dans la
foi où le lien de fraternité est
ce qui se met en commun. Cette exercice de
communication sert aussi à apprendre à se communiquer
en vérité permettant après à chacun le propre de la
foi en termes faciles et simples afin que tous peuvent
comprendre et se plaire. Que puissions-nous découvrir
le cœur humain comme élément fondamental d’union et
d’unité entre les hommes. Que notre union fraternelle
parte des cœurs animés par la charité afin que notre
communion de vie et relation interpersonnelle soient un
vrai témoignage du Ressuscité.
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