0.
Introduction
Qu’attendons-nous
de la spiritualité du cœur ? Je pense que l’apport
qui m’est demandé ne consiste pas à répéter ce qui
a été dit et mieux dit par les autres ni à vous
redire les discours déjà connus. Je ne voudrais
cependant pas prétendre être original ou innovateur ;
je voudrais seulement partir de mon expérience
personnelle, du milieu où je vis pour vous présenter
ce que j’entends de la spiritualité du cœur. C’est
donc une sorte de convictions que je vous partage ;
des rêves qui m’animent et m’habitent. C’est donc
une vision située, qui ne prétend pas épuiser toute
richesse contenue dans la spiritualité du cœur.
1.
Définition
Par
la spiritualité, je comprends une motivation ou des
motivations qui imprègnent la vie, les projets et les
engagements. C’est donc une force intégrante et
constitutive de toute la vie personnelle ; une
sorte de mystique. La spiritualité, tel que nous l’entendons,
est un mouvement qui porte notre vie, ce dont
s’inspire l’action, qui la porte et l’oriente.
Dans ce sens, la spiritualité du cœur est la somme ou
l’ensemble des valeurs qui nous font ressembler le
plus à la personne de Jésus, à son cœur. Ces valeurs
sont aussi vécues comme une réalité communautaire,
une sorte de conscience et de motivation d’un groupe
donné. La référence sera évidemment notre groupe,
notre Congrégation. Notre compréhension de la
spiritualité du cœur intègre des gestes concrets, des
actions pratiques. En outre l’aspect personnel se
conjugue avec l’aspect communautaire et social, car il
n’est pas question d’une spiritualité uniquement
personnelle, mais une spiritualité partagée, qui
cherche à opérer un changement dans sa propre vie en
tenant compte de la complexité des relations
interpersonnelles.
Ainsi
comprise, qu’attendons-nous de la spiritualité du cœur ?
2.
Une spiritualité fondée sur la miséricorde
La
spiritualité du cœur est celle qui prend sa source
d’inspiration dans le cœur de Jésus. Dans ces
derniers temps, la christologie a corrigé une certaine
tendance qui voulait voir dans la mort de Jésus une
certaine fatalité. Dans ces derniers temps, la mort de
Jésus est plus vue, comprise comme une mort par amour
à son Père, par fidélité à sa mission. La mort de Jésus
est donc un aboutissement d’une vie cohérente et fidèle.
C’est toute la vie de Jésus, sa vie terrestre qui
offre une clé de lecture et de compréhension à sa
mort.
Dans
cette logique, nous pouvons affirmer que le cœur de Jésus
n’a pas été transpercé par hasard. Mais il l’était
déjà dès son vivant, par sa compassion pour les
malades et les affamés, par ses choix en faveur de la défense
de la vie et de la justice.
La
miséricorde est donc cette capacité d’être mu par
la charité, par le bien d’autrui. La détresse de
l’autre touche mon cœur, émeut mes entrailles. Elle
s’oppose à l’indifférence, à l’égoïsme, à
l’intérêt personnel, à la réalisation personnelle
au détriment du l’autre, des autres. La miséricorde
envisage une réussite commune, une victoire de tous.
Elle loin sentimentalisme, de vœux pieux. Elle n’est
une agitation pieuse en faveur des pauvres. Affirmer la
spiritualité du cœur c’est accepter d’être
interrogé sur ses propres motivations : les
motivations de ses actes, de son agir, de ses actions.
Si
nos activités ne sont pas ne sont pas mues par la
charité, l’amour gratuit et désintéressé, signe
que la spiritualité du cœur a peu de prise sur notre
vie. L’on ne peut, par ailleurs, se faire illusion
d’être charitable, désintéressé et gratuit. Il
faut être réaliste et reconnaître nos infidélités,
mesquineries et péchés. Mais, loin de nous résigner,
et nous décourager, la spiritualité du cœur permet un
examen de conscience et découvre que plus on s’éloigne
de Jésus, plus celui-ci se fait proche de nous pour
nous racheter. La spiritualité du cœur devient alors
cette instance critique de notre vie tant personnelle
que communautaire ou congregationnelle.
On
ne peut parler de la spiritualité du cœur sans parler
du pardon. Avant de penser au pardon pour les autres,
peut-être faut-il envisager sérieusement le pardon à
soi-même. Pour plusieurs il leur est difficile de se
pardonner à eux-mêmes, de se pardonner ses erreurs et
ses égarements pour reprendre le chemin de la
conversion. Quelque fois c’est ce pardon accordé à
nous-mêmes que l’on donne aux autres ; et c’est
dans la mesure que je me pardonne que je pardonne aux
autres aussi. Car miséricorde sans pardon est une
illusion.
Si
dans notre vie, dans nos activités, il n’y a pas de
charité, d’amour gratuit et désintéressé, c’est
que la spiritualité du cœur occupe peu de place dans
notre vie.
En
effet, elles l’instance critique de notre vie tant
personnelle que communautaire ou congrégationnelle. On
ne peut pas parler de la spiritualité du cœur sans
parler du pardon. Avant de penser à pardonner aux
autres, la spiritualité du cœur nous invite et nous
interpelle à pardonner d’abord pour pouvoir accorder
le pardon aux autres. Car on ne donne pas ce qu’on
n’a pas. A plusieurs, il nous difficile de nous
pardonner à nous mêmes, à nous accepter dans nos
faiblesses, dans égarements et erreurs pour reprendre
le chemin de la conversion. La miséricorde sans pardon
est illusoire et trompeuse.
Aussi
la réconciliation trouve-t-elle sa place dans cette
spiritualité. Le pardon conduit à la réconciliation.
Cependant il ne faut pas être dupe, force est de
reconnaître qu’on ne vit pas toujours toutes ces
valeurs. Peut-être faudra-t-il demander au moins le don
des larmes pour pleurer sur nos manquements et misères !
C’est la prise de conscience qui peut nous faire
avancer.
3.
Une spiritualité incarnée
La
spiritualité du Sacré Cœur a été longtemps confinée
dans des dévotions avec ses pratiques. Et pourtant à y
voir de près, la tradition de l’Eglise, les témoins
de cette spiritualité, la Bible comme base et fondement
de cette spiritualité, l’on se rend compte qu’il
est question d’une spiritualité incarnée, c’est-à-dire,
une spiritualité qui n’est pas passive, mais active
te fondée sur une expérience forte de prière, une
rencontre profonde avec le Seigneur.
Cette
spiritualité s’engage, elle prend forme une forme
concrète d’engagement en faveur d’une classe d’individus
historiquement marginalisés. Ici le discernement est
capital ; car on risque d’être à la merci des
idéologies. C’est l’expérience d’une prière, le
dialogue avec Dieu que cette spiritualité peut choisir
d’une façon privilégiée et non exclusivement son
champ d’action apostolique.
Il
ne faudra pas s’attendre à ce que l’engagement soit
toujours et partout la même. Malgré l’illusion que
provoque ou génère la mondialisation, le monde devient
un village pour les nantis qui ont les moyens. Il y a
toujours des collines et des vallées oubliées par la
globalisation. Et l’Esprit du cœur du Christ nous y
enverra si réellement nous sommes à son écoute.
4.
Une Spiritualité libératrice
Puisqu’elle
est intégrale, la spiritualité du Sacré Cœur est libératrice.
Elle libère des peurs, des phobies, des fausses images
de Dieu. Le visage de Dieu que nous transmet la Bible -
au moins certains textes relatifs à l’amour miséricordieux
de Dieu- et contenu dans cette spiritualité, est l’image
d’un Dieu passionnément aimant et pardonnant ;
un Dieu patient à l’infini. Mais cette image ne doit
pas être caricaturée ; le Dieu bon et miséricordieux
est aussi le Dieu responsable, exigeant, fidèle à son
alliance.
La
spiritualité du Sacré Cœur bien comprise, bien vécue
nous libère de nos égoïsmes, nous décentre de nous-mêmes
pour nous centrer sur le Cœur du Christ, sur le service
aux autres. C’est un amour oblatif auquel nous invite
et nous renvoie la spiritualité du Sacré-Cœur.
Cependant, cette libération n’est pas automatique.
Elle exige une formation et auto-formation continues,
une oreille attentive, un cœur sensible au quotidien
pour élargir notre vision et compréhension de Dieu et
pour confronter notre vision et compréhension à la réalité.
Une étroite compréhension de Dieu réduit le visage de
Dieu à sa mesure.
La
spiritualité du Sacré Cœur, dans son aspect libérateur,
nous pousse aussi à l’optimises, à l’espérance,
à voir le monde, la société et les autres avec les
yeux du Cœur de Jésus. Au delà des guerres, des
conflits, des infidélités qui se lisent dans les pages
de la Bible, un regard attentif à l’amour miséricordieux
de Dieu découvre un optimisme effrayant ; un amour
qui attend l’homme et qui ne désespère jamais de lui.
Comme elle prend racine dans le Cœur du Christ, cette
spiritualité est nécessairement optimiste, confiante
et joyeuse.
5.
Une Spiritualité intégrale et intégrante
Il
nous est tous connu que, dans la Bible, le cœur renvoie
surtout à la personne même du Christ, pris dans son
intégralité. La spiritualité du Sacré Cœur englobe
aussi toutes les dimensions de l’homme ; elle
n’est pas enfermée dans l’intimité du cœur ;
elle ne se réduit pas aux sentiments.
La
spiritualité du Sacré Cœur pénètre toute notre vie,
intègre tous les éléments et composants de notre vie
spirituelle. Elle n’est pas exprimée dans quelques
occasions, ni exprimées seulement par quelques dévotions.
Mais elle est la source qui alimente la vie, le moteur
qui expulse nos actions. Elle suppose une vie unifiée
et contribue à son unification par les orientations qu’elle
lui marque. Il n’y a de spirituel que l’intégral.
C’est pourquoi la dichotomie entre l’esprit et le
corps, l’action et la contemplation est dépassée.
Car, on ne peut pas parler de l’un sans parler de l’autre.
Vécue intégralement, la spiritualité du sacré Cœur
n’a pas besoin d’autres spiritualités complémentaires,
parce qu’elle remplit la vie et comble toutes ses
aspirations.
6.
Une spiritualité de joie
Certains
livres sur la spiritualité du Sacré Cœur présentent
une vision triste et pâle. Un christ toujours offensé
par nos péchés, un Christ abandonné qui a besoin de
notre réconfort et consolation. Cette vision me semble
réductionniste, partielle et partielle ; à la
limite erronée. Si le monde a été consacré au Sacré
Cœur de Jésus, ce n’est pas à la tristesse, mais à
la joie et au bonheur qu’il a été offert et qu’il
est invité à intégrer et à vivre. Il n’est pas
question du romantisme, mais d’un dynamisme qui veut
transformer le monde, assumer toute la réalité de l’humanité.
La
libération des pauvres a fait son entrée dans la
spiritualité du Sacré Cœur et a trouvé un terrain
fertile d’accueil. Or, s’il y a un lieu où se vit
et s’exprime la joie de vivre et non d’avoir ou de
dominer est bel et bien chez ceux qui ne sont pas
encombrés de biens matériels ; chez ceux qui ne
possèdent pas beaucoup, mais qui savent jouir de la vie,
de ses détails quotidiens, de la solidarité.
La
joie serait un thermomètre de la vivacité de las
spiritualité du Sacré Cœur. Sommes porteurs de joie?
La spiritualité du Sacré Cœur donne-t-elle de la joie
profonde à notre vie?
7.
Une spiritualité ‘martyriale’
Un
élément constitutif de la spiritualité du Sacré Cœur
est l’aspect ‘martyriale’, c’est-à-dire l’aspect
testimonial. Cet aspect du martyre appelle/fait référence
à la témoignage, à la fidélité à l’engagement
quotidien. Ici, il n’est pas question des actes de
bravoure -bien qu’ils ne soient pas exclus-, ou de la
foi qui transporte et déplace les montagnes, mais de la
qualité d’une vie cohérente, fidèle à l’engagement
quotidien ; la qualité d’une vie constante,
exigeante et cordiale. Quand les fruits ne sont pas évidents,
quand le progrès spirituel n’est toujours senti, la
tentation est grande de faire des œuvres titanesques.
Mais, il me semble, dans cette spiritualité, compte
plus la constance, la fidélité et l’humilité, l’engagement.
Ceci
fait appel à l’autre sens du martyre, à savoir l’oblativité
et le désintéressement. Le martyr est celui qui
renonce à lui-même, à sa vie pour une valeur plus
haute, pour une cause noble, bénéficiaire à un plus
grand nombre. Il y a donc l’aspect d’une solidarité
affective avec u plus grand nombre de personnes. Cet
aspect de martyr est comme « un feu sous les
cendres » qui ne s’éteint jamais et près à être
rallumé au souffle de l’Esprit.
Cet
aspect est l’antidote du dolorisme et du spiritualisme ;
car il est dynamique, même contestataire et critique.
8.
Une spiritualité fondée sur la prière
Il
semble une tautologie parlée d’une spiritualité fondée
sur la prière. Car cela va de soi, s’il n’y a pas
de prière, on ne parlerait pas de la spiritualité.
C’est vrai, mais je voudrais dénoncer une fausse
illusion comme du fait qu’étant prêtre, profès,
ayant été appelé par Dieu à la suite de son Fils, la
prière est comme facultative. L’on suppose ou l’on
se convainc que tout ce que l’on fait est prière.
Cette spiritualité du cœur a comme élément
dynamisant une rencontre forte avec le Seigneur, et
suppose des moments réguliers de prière, de
contemplation. La spiritualité du cœur donne un ‘plus’,
il ne suffit d’être bon et gentil, faire ce qui est
exigé ou demandé. La gratuité, la prière, la
rencontre avec le Seigneur est primordiale. Car c’est
à ce moment là que s’opère le dialogue de notre vie,
de notre cœur avec le cœur du Christ et même la
confrontation. La prière est quelque fois un combat,
tel Jacob qui lutta avec un inconnu toute la nuit. Ne
pas avoir peur d’engager ce combat relève de cet
esprit de courage, d’accepter perdre pour que gagne
l’Autre.
L’on
ne doit pas penser que cette spiritualité fait de nous
automatiquement de grands priants, des hommes de prière,
bons et gentils. Peut-être elle fera de nous des hommes
réalistes, et nous rendrons cette spiritualité vivante
et dynamique.
On
aimerait souvent être un homme de prière pour pouvoir
prier, un homme riche pour pouvoir faire de la charité,
mais l’expérience nous montre que le chemin se fait
en marchant ; car c’est en forgeant que l’on
devient forgeron.
Alors,
parler de la spiritualité du cœur qui ne puise pas de
la source de la prière et de la rencontre avec le
Seigneur, résulte d’une illusion, un mensonge.
D’après
mon expérience, il nous faut apprendre et réapprendre
à rencontrer le Seigneur dans le silence, dans le désert,
dans l’écoute de sa Parole. Quand on manque le temps
de la prière, c’est l’unité de ma vie qui en jeu.
D’autres choses ont pris et prennent la place de Dieu
dans ma vie
.
9.
Une spiritualité contemplative
La
spiritualité du cœur est une spiritualité qui découvre
la présence de Dieu dans l’histoire personnelle, dans
notre société. Bien qu’elle soit historique, l’incarnation
du Fils de Dieu a
laissé des traces dans l’humanité. La spiritualité
du cœur nous pousse à reconnaître des signes d’espérances,
des signes de joies, de rencontres du divin avec l’humain
dans notre histoire. Elle nous invite à trouver des
lieux de révélation du divin dans l’histoire
personnelle et communautaire. Le premier lieu de la révélation
de Dieu est notre frère. Celui avec qui je vis. Ce frère
à travers lequel Dieu se manifeste /dont le visage
manifeste Dieu ne se présente pas toujours à moi tel
que je le voudrais. Le plus grand défi est celui d’oublier
mes frères de la communauté au profit/en faveur d’autres
frères occasionnels avec qui je travaille au collège,
à la paroisse, etc. En Afrique, la menace de la
‘fraternité congrégationnelle ou communautaire’
est le fait de ne jamais couper le cordon ombilical qui
nous rattache à nos familles biologiques, à nos frères
de tribus, de race, du village. Assumer la ‘fraternité
congrégationnelle’, ‘joachinienne’ ne va pas de
soi. Mais sans cela, tout ce que nous professons reste
de bonnes paroles. La contemplation dans la spiritualité
du cœur, à ma façon de voir, inclut absolument la
contemplation de Dieu à travers le respect de mon frère,
les soucis et la préoccupation à l’égard de mon frère.
L’autre
lieu de la révélation du Cœur de Dieu est notre
histoire personnelle, communautaire et congrégationnelle.
Je pense qu’il ne nous est pas familier de voir note
communauté, notre Congrégation comme un lieu de la présence
de divine, un lieu de la présence du Cœur Sacré de Jésus.
Et ce n’est pas par principe, mais par mégarde, par
manque d’attention. Et pourtant, c’est là notre
Horeb, notre Jourdain, notre Sinaï et quelque fois
aussi notre Gétsemani. C’est justement dans ses joies
et peines partagées, assumées ensemble, que l’on
grandit. Les difficultés sont souvent des sources de
croissance, et révélatrices de nos fragilités et de
la puissance divine. C’est vrai qu l’autre peut être
l’enfer, peut me chosifier, mais aussi il est le
passage le chemin qu’emprunte Dieu pour arriver jusqu’à
moi. ‘L’ennemi n’est pas très loin : il est
dans la communauté, il est la personne qui et ma liberté
en danger et que je ne supporte pas’. (Jean Vanier). |