¿A qué llamamos espiritualidad del corazón?


André Mujyambere, msscc

Foto Josep Amengual i Batle

 

0. Introduction

 

Qu’attendons-nous de la spiritualité du cœur ? Je pense que l’apport qui m’est demandé ne consiste pas à répéter ce qui a été dit et mieux dit par les autres ni à vous redire les discours déjà connus. Je ne voudrais cependant pas prétendre être original ou innovateur ; je voudrais seulement partir de mon expérience personnelle, du milieu où je vis pour vous présenter ce que j’entends de la spiritualité du cœur. C’est donc une sorte de convictions que je vous partage ; des rêves qui m’animent et m’habitent. C’est donc une vision située, qui ne prétend pas épuiser toute richesse contenue dans la spiritualité du cœur.

 

 

1. Définition

 

Par la spiritualité, je comprends une motivation ou des motivations qui imprègnent la vie, les projets et les engagements. C’est donc une force intégrante et constitutive de toute la vie personnelle ; une sorte de mystique. La spiritualité, tel que nous l’entendons, est un mouvement qui porte notre vie, ce dont s’inspire l’action, qui la porte et l’oriente. Dans ce sens, la spiritualité du cœur est la somme ou l’ensemble des valeurs qui nous font ressembler le plus à la personne de Jésus, à son cœur. Ces valeurs sont aussi vécues comme une réalité communautaire, une sorte de conscience et de motivation d’un groupe donné. La référence sera évidemment notre groupe, notre Congrégation. Notre compréhension de la spiritualité du cœur intègre des gestes concrets, des actions pratiques. En outre l’aspect personnel se conjugue avec l’aspect communautaire et social, car il n’est pas question d’une spiritualité uniquement personnelle, mais une spiritualité partagée, qui cherche à opérer un changement dans sa propre vie en tenant compte de la complexité des relations interpersonnelles.

Ainsi comprise, qu’attendons-nous de la spiritualité du cœur ?

 

 

2. Une spiritualité fondée sur la miséricorde

 

La spiritualité du cœur est celle qui prend sa source d’inspiration dans le cœur de Jésus. Dans ces derniers temps, la christologie a corrigé une certaine tendance qui voulait voir dans la mort de Jésus une certaine fatalité. Dans ces derniers temps, la mort de Jésus est plus vue, comprise comme une mort par amour à son Père, par fidélité à sa mission. La mort de Jésus est donc un aboutissement d’une vie cohérente et fidèle. C’est toute la vie de Jésus, sa vie terrestre qui offre une clé de lecture et de compréhension à sa mort.

Dans cette logique, nous pouvons affirmer que le cœur de Jésus n’a pas été transpercé par hasard. Mais il l’était déjà dès son vivant, par sa compassion pour les malades et les affamés, par ses choix en faveur de la défense de la vie et de la justice.

La miséricorde est donc cette capacité d’être mu par la charité, par le bien d’autrui. La détresse de l’autre touche mon cœur, émeut mes entrailles. Elle s’oppose à l’indifférence, à l’égoïsme, à l’intérêt personnel, à la réalisation personnelle au détriment du l’autre, des autres. La miséricorde envisage une réussite commune, une victoire de tous. Elle loin sentimentalisme, de vœux pieux. Elle n’est une agitation pieuse en faveur des pauvres. Affirmer la spiritualité du cœur c’est accepter d’être interrogé sur ses propres motivations : les motivations de ses actes, de son agir, de ses actions.

Si nos activités ne sont pas ne sont pas mues par la charité, l’amour gratuit et désintéressé, signe que la spiritualité du cœur a peu de prise sur notre vie. L’on ne peut, par ailleurs, se faire illusion d’être charitable, désintéressé et gratuit. Il faut être réaliste et reconnaître nos infidélités, mesquineries et péchés. Mais, loin de nous résigner, et nous décourager, la spiritualité du cœur permet un examen de conscience et découvre que plus on s’éloigne de Jésus, plus celui-ci se fait proche de nous pour nous racheter. La spiritualité du cœur devient alors cette instance critique de notre vie tant personnelle que communautaire ou congregationnelle.

On ne peut parler de la spiritualité du cœur sans parler du pardon. Avant de penser au pardon pour les autres, peut-être faut-il envisager sérieusement le pardon à soi-même. Pour plusieurs il leur est difficile de se pardonner à eux-mêmes, de se pardonner ses erreurs et ses égarements pour reprendre le chemin de la conversion. Quelque fois c’est ce pardon accordé à nous-mêmes que l’on donne aux autres ; et c’est dans la mesure que je me pardonne que je pardonne aux autres aussi. Car miséricorde sans pardon est une illusion.

Si dans notre vie, dans nos activités, il n’y a pas de charité, d’amour gratuit et désintéressé, c’est que la spiritualité du cœur occupe peu de place dans notre vie.

En effet, elles l’instance critique de notre vie tant personnelle que communautaire ou congrégationnelle. On ne peut pas parler de la spiritualité du cœur sans parler du pardon. Avant de penser à pardonner aux autres, la spiritualité du cœur nous invite et nous interpelle à pardonner d’abord pour pouvoir accorder le pardon aux autres. Car on ne donne pas ce qu’on n’a pas. A plusieurs, il nous difficile de nous pardonner à nous mêmes, à nous accepter dans nos faiblesses, dans égarements et erreurs pour reprendre le chemin de la conversion. La miséricorde sans pardon est illusoire et trompeuse.

Aussi la réconciliation trouve-t-elle sa place dans cette spiritualité. Le pardon conduit à la réconciliation. Cependant il ne faut pas être dupe, force est de reconnaître qu’on ne vit pas toujours toutes ces valeurs. Peut-être faudra-t-il demander au moins le don des larmes pour pleurer sur nos manquements et misères ! C’est la prise de conscience qui peut nous faire avancer.

 

 

3. Une spiritualité incarnée

 

La spiritualité du Sacré Cœur a été longtemps confinée dans des dévotions avec ses pratiques. Et pourtant à y voir de près, la tradition de l’Eglise, les témoins de cette spiritualité, la Bible comme base et fondement de cette spiritualité, l’on se rend compte qu’il est question d’une spiritualité incarnée, c’est-à-dire, une spiritualité qui n’est pas passive, mais active te fondée sur une expérience forte de prière, une rencontre profonde avec le Seigneur.

Cette spiritualité s’engage, elle prend forme une forme concrète d’engagement en faveur d’une classe d’individus historiquement marginalisés. Ici le discernement est capital ; car on risque d’être à la merci des idéologies. C’est l’expérience d’une prière, le dialogue avec Dieu que cette spiritualité peut choisir d’une façon privilégiée et non exclusivement son champ d’action apostolique.

Il ne faudra pas s’attendre à ce que l’engagement soit toujours et partout la même. Malgré l’illusion que provoque ou génère la mondialisation, le monde devient un village pour les nantis qui ont les moyens. Il y a toujours des collines et des vallées oubliées par la globalisation. Et l’Esprit du cœur du Christ nous y enverra si réellement nous sommes à son écoute.

 

 

4. Une Spiritualité libératrice

 

Puisqu’elle est intégrale, la spiritualité du Sacré Cœur est libératrice. Elle libère des peurs, des phobies, des fausses images de Dieu. Le visage de Dieu que nous transmet la Bible - au moins certains textes relatifs à l’amour miséricordieux de Dieu- et contenu dans cette spiritualité, est l’image d’un Dieu passionnément aimant et pardonnant ; un Dieu patient à l’infini. Mais cette image ne doit pas être caricaturée ; le Dieu bon et miséricordieux est aussi le Dieu responsable, exigeant, fidèle à son alliance.

La spiritualité du Sacré Cœur bien comprise, bien vécue nous libère de nos égoïsmes, nous décentre de nous-mêmes pour nous centrer sur le Cœur du Christ, sur le service aux autres. C’est un amour oblatif auquel nous invite et nous renvoie la spiritualité du Sacré-Cœur. Cependant, cette libération n’est pas automatique. Elle exige une formation et auto-formation continues, une oreille attentive, un cœur sensible au quotidien pour élargir notre vision et compréhension de Dieu et pour confronter notre vision et compréhension à la réalité. Une étroite compréhension de Dieu réduit le visage de Dieu à sa mesure.

La spiritualité du Sacré Cœur, dans son aspect libérateur, nous pousse aussi à l’optimises, à l’espérance, à voir le monde, la société et les autres avec les yeux du Cœur de Jésus. Au delà des guerres, des conflits, des infidélités qui se lisent dans les pages de la Bible, un regard attentif à l’amour miséricordieux de Dieu découvre un optimisme effrayant ; un amour qui attend l’homme et qui ne désespère jamais de lui. Comme elle prend racine dans le Cœur du Christ, cette spiritualité est nécessairement optimiste, confiante et joyeuse.

 

 

5. Une Spiritualité intégrale et intégrante

 

Il nous est tous connu que, dans la Bible, le cœur renvoie surtout à la personne même du Christ, pris dans son intégralité. La spiritualité du Sacré Cœur englobe aussi toutes les dimensions de l’homme ; elle n’est pas enfermée dans l’intimité du cœur ; elle ne se réduit pas aux sentiments.

La spiritualité du Sacré Cœur pénètre toute notre vie, intègre tous les éléments et composants de notre vie spirituelle. Elle n’est pas exprimée dans quelques occasions, ni exprimées seulement par quelques dévotions. Mais elle est la source qui alimente la vie, le moteur qui expulse nos actions. Elle suppose une vie unifiée et contribue à son unification par les orientations qu’elle lui marque. Il n’y a de spirituel que l’intégral. C’est pourquoi la dichotomie entre l’esprit et le corps, l’action et la contemplation est dépassée. Car, on ne peut pas parler de l’un sans parler de l’autre. Vécue intégralement, la spiritualité du sacré Cœur n’a pas besoin d’autres spiritualités complémentaires, parce qu’elle remplit la vie et comble toutes ses aspirations.

 

 

6. Une spiritualité de joie

 

Certains livres sur la spiritualité du Sacré Cœur présentent une vision triste et pâle. Un christ toujours offensé par nos péchés, un Christ abandonné qui a besoin de notre réconfort et consolation. Cette vision me semble réductionniste, partielle et partielle ; à la limite erronée. Si le monde a été consacré au Sacré Cœur de Jésus, ce n’est pas à la tristesse, mais à la joie et au bonheur qu’il a été offert et qu’il est invité à intégrer et à vivre. Il n’est pas question du romantisme, mais d’un dynamisme qui veut transformer le monde, assumer toute la réalité de l’humanité.

La libération des pauvres a fait son entrée dans la spiritualité du Sacré Cœur et a trouvé un terrain fertile d’accueil. Or, s’il y a un lieu où se vit et s’exprime la joie de vivre et non d’avoir ou de dominer est bel et bien chez ceux qui ne sont pas encombrés de biens matériels ; chez ceux qui ne possèdent pas beaucoup, mais qui savent jouir de la vie, de ses détails quotidiens, de la solidarité.

La joie serait un thermomètre de la vivacité de las spiritualité du Sacré Cœur. Sommes porteurs de joie? La spiritualité du Sacré Cœur donne-t-elle de la joie profonde à notre vie?

 

 

7. Une spiritualité ‘martyriale’

Un élément constitutif de la spiritualité du Sacré Cœur est l’aspect ‘martyriale’, c’est-à-dire l’aspect testimonial. Cet aspect du martyre appelle/fait référence à la témoignage, à la fidélité à l’engagement quotidien. Ici, il n’est pas question des actes de bravoure -bien qu’ils ne soient pas exclus-, ou de la foi qui transporte et déplace les montagnes, mais de la qualité d’une vie cohérente, fidèle à l’engagement quotidien ; la qualité d’une vie constante, exigeante et cordiale. Quand les fruits ne sont pas évidents, quand le progrès spirituel n’est toujours senti, la tentation est grande de faire des œuvres titanesques. Mais, il me semble, dans cette spiritualité, compte plus la constance, la fidélité et l’humilité, l’engagement.

Ceci fait appel à l’autre sens du martyre, à savoir l’oblativité et le désintéressement. Le martyr est celui qui renonce à lui-même, à sa vie pour une valeur plus haute, pour une cause noble, bénéficiaire à un plus grand nombre. Il y a donc l’aspect d’une solidarité affective avec u plus grand nombre de personnes. Cet aspect de martyr est comme « un feu sous les cendres » qui ne s’éteint jamais et près à être rallumé au souffle de l’Esprit.

Cet aspect est l’antidote du dolorisme et du spiritualisme ; car il est dynamique, même contestataire et critique.

 

 

8. Une spiritualité fondée sur la prière

 

Il semble une tautologie parlée d’une spiritualité fondée sur la prière. Car cela va de soi, s’il n’y a pas de prière, on ne parlerait pas de la spiritualité. C’est vrai, mais je voudrais dénoncer une fausse illusion comme du fait qu’étant prêtre, profès, ayant été appelé par Dieu à la suite de son Fils, la prière est comme facultative. L’on suppose ou l’on se convainc que tout ce que l’on fait est prière. Cette spiritualité du cœur a comme élément dynamisant une rencontre forte avec le Seigneur, et suppose des moments réguliers de prière, de contemplation. La spiritualité du cœur donne un ‘plus’, il ne suffit d’être bon et gentil, faire ce qui est exigé ou demandé. La gratuité, la prière, la rencontre avec le Seigneur est primordiale. Car c’est à ce moment là que s’opère le dialogue de notre vie, de notre cœur avec le cœur du Christ et même la confrontation. La prière est quelque fois un combat, tel Jacob qui lutta avec un inconnu toute la nuit. Ne pas avoir peur d’engager ce combat relève de cet esprit de courage, d’accepter perdre pour que gagne l’Autre.

L’on ne doit pas penser que cette spiritualité fait de nous automatiquement de grands priants, des hommes de prière, bons et gentils. Peut-être elle fera de nous des hommes réalistes, et nous rendrons cette spiritualité vivante et dynamique.

On aimerait souvent être un homme de prière pour pouvoir prier, un homme riche pour pouvoir faire de la charité, mais l’expérience nous montre que le chemin se fait en marchant ; car c’est en forgeant que l’on devient forgeron.

Alors, parler de la spiritualité du cœur qui ne puise pas de la source de la prière et de la rencontre avec le Seigneur, résulte d’une illusion, un mensonge.

D’après mon expérience, il nous faut apprendre et réapprendre à rencontrer le Seigneur dans le silence, dans le désert, dans l’écoute de sa Parole. Quand on manque le temps de la prière, c’est l’unité de ma vie qui en jeu. D’autres choses ont pris et prennent la place de Dieu dans ma vie .

 

 

9. Une spiritualité contemplative

 

La spiritualité du cœur est une spiritualité qui découvre la présence de Dieu dans l’histoire personnelle, dans notre société. Bien qu’elle soit historique, l’incarnation du Fils de Dieu  a laissé des traces dans l’humanité. La spiritualité du cœur nous pousse à reconnaître des signes d’espérances, des signes de joies, de rencontres du divin avec l’humain dans notre histoire. Elle nous invite à trouver des lieux de révélation du divin dans l’histoire personnelle et communautaire. Le premier lieu de la révélation de Dieu est notre frère. Celui avec qui je vis. Ce frère à travers lequel Dieu se manifeste /dont le visage manifeste Dieu ne se présente pas toujours à moi tel que je le voudrais. Le plus grand défi est celui d’oublier mes frères de la communauté au profit/en faveur d’autres frères occasionnels avec qui je travaille au collège, à la paroisse, etc. En Afrique, la menace de la ‘fraternité congrégationnelle ou communautaire’ est le fait de ne jamais couper le cordon ombilical qui nous rattache à nos familles biologiques, à nos frères de tribus, de race, du village. Assumer la ‘fraternité congrégationnelle’, ‘joachinienne’ ne va pas de soi. Mais sans cela, tout ce que nous professons reste de bonnes paroles. La contemplation dans la spiritualité du cœur, à ma façon de voir, inclut absolument la contemplation de Dieu à travers le respect de mon frère, les soucis et la préoccupation à l’égard de mon frère.

L’autre lieu de la révélation du Cœur de Dieu est notre histoire personnelle, communautaire et congrégationnelle. Je pense qu’il ne nous est pas familier de voir note communauté, notre Congrégation comme un lieu de la présence de divine, un lieu de la présence du Cœur Sacré de Jésus. Et ce n’est pas par principe, mais par mégarde, par manque d’attention. Et pourtant, c’est là notre Horeb, notre Jourdain, notre Sinaï et quelque fois aussi notre Gétsemani. C’est justement dans ses joies et peines partagées, assumées ensemble, que l’on grandit. Les difficultés sont souvent des sources de croissance, et révélatrices de nos fragilités et de la puissance divine. C’est vrai qu l’autre peut être l’enfer, peut me chosifier, mais aussi il est le passage le chemin qu’emprunte Dieu pour arriver jusqu’à moi. ‘L’ennemi n’est pas très loin : il est dans la communauté, il est la personne qui et ma liberté en danger et que je ne supporte pas’. (Jean Vanier).